Dans la langue courante, le mot aléa est généralement utilisé comme synonyme de hasard. Ainsi, les expressions « aléas de l’existence » et « hasards de la vie » sont-elles deux façons différentes de dire la même chose. L’aléa constitue donc un événement non prévisible, et pas obligatoirement négatif, même s’il est souvent connoté comme tel.

Appliqué au domaine des risques, le terme aléa est employé pour référer à un phénomène à la fois incertain et dangereux. Il existe des aléas naturels, comme les tsunamis, les glissements de terrain, ou les éruptions volcaniques ; il existe aussi des aléas d’origine anthropique, comme les accidents industriels, ceux de transport, les guerres ou les crises économiques. Par ailleurs, les interactions entre l’homme et son environnement étant nombreuses complexes, certains aléas ont des causes qui relèvent conjointement du naturel et de l’anthropique. C’est par exemple le cas de la plupart des épidémies et pandémies, comme le récent exemple de la covid-19 l’a montré.  

En géographie, le terme aléa constitue généralement l’un des deux éléments de définition du risque. Ce dernier est en effet vu comme le croisement d’un aléa (phénomène dangereux) et d’un enjeu (humain, économique, environnemental) présentsur l’espace considéré. On a alors une équation du type : risque = aléa x enjeu. Partant de là, les géographes considèrent qu’il existe deux types d’approches du risque : les « aléa-centrées »et les « enjeu-centrées ». Le premier focalise sur la source, naturelle et/ou anthropique, du risque, alors que dans le second on se préoccupe surtout des dommages causés et de la façon de les réduire (en déplaçant les enjeux, par exemple).

Sans que cela constitue une véritable rupture, nous proposons de sortir de cette approche dominante chez les géographes et de ne plus faire de l’aléa un élément de définition du risque, mais de le déplacer vers l’amont du phénomène. Il est en effet plus logique de le voir comme un porteur ou « engendreur » de risques, ceux-ci pouvant être d’intensité et de probabilité de survenue différentes.

Par exemple, quand on dit qu’il existe un aléa inondation pour une certaine zone située à proximité d’un cours d’eau, c’est généralement toute une gamme de risques liés aux crus qui lui est associée. L’arrivée soudaine des eaux peut n’entrainer que des dégâts mineurs et ne mettre la vie de personne en danger, comme elle peut aussi être potentiellement létale et créer une telle dévastation que l’appellation de catastrophe est alors utilisée par ceux qui rendent compte de l’événement. C’est donc bien tout un éventail de risques, du plus faible au plus fort, qui est lié à l’existence de l’aléa inondation, chacun d’eux se définissant à la fois par une probabilité de survenue (décennale, centennale…) et par des dommages potentiels sur l’enjeu (humain, bâti…). De la même façon, pour tout entrepreneur ou salarié du secteur privé, la crise économique constitue un aléa qui engendre toute une série de risques. Pour l’entrepreneur cela va de la perte de chiffre d’affaire à la faillite, pour le salarié de la dégradation de ses conditions de travail et de rémunération à son licenciement pur et simple.

Dans ces deux exemples, ce que nous présentons comme des risques différents est plutôt un risque unique, qui épouse la forme d’une variable continue. Mais, pour des raisons liées à l’analyse de ses effets et de sa gestion, on le segmente en plusieurs paliers. Pour un territoire qui connaît périodiquement des inondations, en fonction de l’importance de la fréquence de survenue de celles-ci et de l’ampleur des dommages qu’elles causent, le risque pourra parcourir tout ou partie de l’échelle allant de peu probable avec dommages faibles à très probable avec forts dommages.

Soulignons qu’un même aléa peut être source de risques non seulement d’intensités variées, mais aussi de natures différentes (voir schéma 1). Une inondation peut provoquer tout à la fois des risques de noyade pour les hommes et les animaux, d’endommagement et de destruction pour les biens matériels, mais aussi de contamination ou de pollution des sols et des eaux (par débordement des égouts, de cuves d’hydrocarbures, etc.).

De même, dans un autre registre, la pandémie de la covid-19 en 2020 a engendré des risques de natures différentes, qui sont là d’abord sanitaires, mais aussi économiques, voire culturels. Le passage d’un nouvel agent infectieux d’une espèce animale à l’espèce humaine constitue bien un aléa. Et si celui-ci n’est pas nouveau, la déforestation pratiquée à grande échelle dans certaines régions du monde en a augmenté considérablement la probabilité de survenue, comme la mondialisation des échanges et des flux de population la vitesse et l’ampleur de la propagation de cet agent infectieux. Cet aléa est, comme nous avons pu le constater, la source de risques très différents. D’abord celui, sanitaire, de contamination par le SARS-Cov2 des populations, ensuite ceux, économiques et sociaux, de récession et d’aggravation des inégalités de toutes sortes.

Le fait que ce même aléa engendre des risques de nature différente oblige les pouvoirs publics à arbitrer entre ceux-ci et créent fatalement des polémiques. En France, le confinement obligatoire a certainement permis d’épargner plusieurs milliers de vies, mais il a eu aussi des conséquences négatives : une récession économique inédite depuis la seconde guerre mondiale, une déscolarisation des enfants des couches sociales les plus fragiles, des violences domestiques accrues envers les femmes, des pertes de repères importantes chez certains résidents des EHPAD, etc. Aussi, selon que l’on est personnellement touché par tel ou tel dommage – ou plus sensible à celui-ci –, on peut être amené à contester la sévérité du confinement ou, de manière moins radicale, tel ou tel aspect particulier de celui-ci.