Si certains événements ne chamboulent pas de manière soudaine l’ordonnancement du quotidien et ne semblent donc pas relever de ce que l’on nomme catastrophe, on peut néanmoins considérer que leur répétition possède in fine un caractère catastrophique. Il en est ainsi par exemple des accidents de la route ou des maladies et décès dus à l’usage du tabac, de l’alcool ou au simple fait de vivre de manière quasi permanente dans une atmosphère polluée. Alors que, le 12 juillet 2013, le déraillement d’un train en gare de Brétigny-sur-Orge et les 7 morts et 70 blessés qu’il a causé ont été immédiatement qualifiés de catastrophe par les pouvoirs politiques et les médias, les accidents de la route qui, cette même année, ont provoqué au total 3.250 décès (460 fois plus !) n’ont pas eu droit à ce même qualificatif. Chacun d’eux n’a engendré en effet qu’un nombre limité de victimes. Pour donner à cette succession de morts et blessés sur la route sa dimension catastrophique, il faut faire l’exercice mental de rassembler dans une même pensée, dans une même analyse ce qui est dilué dans le temps, ce qui existe sous une forme que l’on peut qualifier de « perlée ». Le faire permet d’employer le mot de « catastrophe ». Ce qui a alors généralement pour conséquence de faire remonter sur l’agenda politique le traitement de la question et la recherche active de solutions.

C’est cette idée qui a présidé, en mai 1973, à l’organisation, par le journaliste Michel Tauriac et le cinéaste Guy Seligmann, de l’action intitulée « Mazamet, la ville rayée de la carte ». Les 16.600 habitants que cette commune du Sud-Ouest de la France comptait cette année-là ont été invités à se coucher sur le sol durant une minute, pour symboliser les 16.545 morts que la route avait provoqués l’année précédente. Même si tous les habitants n’ont pas joué le jeu, cette mise en scène a permis de créer le « triple fracas, de l’impossible, de l’impensable et de l’inconcevable » qui, selon Yoann Moreau[1], caractérise la catastrophe, et d’ainsi contribuer à une prise de conscience des dangers de la route chez les automobilistes. La disparition de certaines espèces animales et végétales, le changement climatique ou les dégradations profondes subies par l’environnement depuis la révolution industrielle peuvent être rangées dans ce même type de catastrophe. Comme elles sont lentes et ne présentent, dans un premier temps du moins, que peu de signes directement perceptibles, elles ont tendance à être sous-estimées par le public. Aussi, communiquer en disant que 50% des espèces de tel type se sont éteintes dans les dernières décennies, comme les défenseurs de la biodiversité le font, est une façon de mettre en avant le côté « catastrophique » du phénomène. Cette façon de présenter les choses a pour objectif la prise de conscience du problème par le pouvoir politique et les citoyens, et donc inciter le premier à prendre des mesures de préservation de l’environnement et les seconds à changer certains de leurs comportements.

[1] Y. Moreau, Vivre avec les catastrophes, Paris, Puf, 2017.