Les risques sont socialement construits au sens où ils n’acquièrent de véritable existence que lorsqu’ils sont identifiés comme tels par la société ; ou au moins par une partie significative de celle-ci. Au cours du processus de leur construction sociale, ils se voient progressivement dotés des deux dimensions qui les constituent et permettent aux gestionnaires d’agir sur eux : 1. la probabilité de survenue des événements négatifs qui les caractérisent, 2. l’identification de l’ensemble des enjeux exposés.
Notons par ailleurs que la plupart des risques sont socialement construits à partir de dangers réels, qui peuvent être d’origine naturelle, technologique, sanitaire, économique ou autre (voir notice « danger »). Cependant, tant qu’un danger n’est détecté ni par ceux qui le subissent ni par les experts – ou même tant qu’il est impossible d’en connaître à la fois la fréquence moyenne de retour et les dommages potentiels –, il ne peut atteindre le statut de risque. Il reste un danger inconnu ou mal pris en compte.
Dans les sociétés développées contemporaines, les différents acteurs sociaux sont, depuis un siècle au moins, dans une démarche générale d’identification des enjeux de toutes natures et des aléas qui les menacent. Et donc de transformation de tous les dangers en risques. Par exemple, les hommes sont menacés dans leur corps par les produits qu’ils manipulent dans leur travail ou leur vie domestique, l’épargne placée à la banque par la faillite de celle-ci, les bâtiments et infrastructures littoraux par les attaques de la mer, etc. Néanmoins, ce mouvement général de construction sociale des différents risques s’accompagne presque toujours de divergences et conflits entre les différentes parties prenantes. Qu’un danger jusque-là négligé vienne à être socialement reconnu comme risque, aussitôt émergent de nouveaux devoirs pour ceux qui sont en charge de sa gestion (les dirigeants politiques et institutions publiques de tous niveaux), de nouvelles contraintes et restrictions pour ceux qui sont réputés en être la source (les entreprises, les citoyens eux-mêmes…), de nouveaux droits à être protégés et indemnisés pour ceux qui le subissent (les consommateurs, les résidents…). Ainsi, la mise en évidence et la prise en compte par la société des dommages sanitaires liés à l’utilisation de l’amiante ou au harcèlement moral au travail a entraîné la définition de nouveaux risques physiques, psychologiques et financiers. Ces dommages sont dès lors soumis à évaluation et les individus ou institutions qui sont réputés en être la source sont de leur côté de plus en plus souvent amenés à s’en expliquer devant les tribunaux et possiblement condamnés pour leur manque de précautions.
Du point de vue de la construction sociale des risques, l’action du lanceur d’alerte* peut être vue comme un moment initial et important. En dénonçant la dangerosité pour la santé humaine ou le bien collectif de certains produits ou comportements, le lanceur d’alerte s’avère être un acteur important et précoce de la transformation du danger en risque.
Il faut par ailleurs souligner que les deux expressions « production de risque » et « construction sociale du risque » ne sont aucunement synonymes. La première renvoie au domaine de la réalité matérielle, la seconde à celui de la représentation et de la gestion collectives de celle-ci. Ainsi les sciences et techniques se situent-elles du côté de la production de dangers quand elles introduisent dans la société des innovations facteurs d’accidents et de pollutions : les automobiles provoquent des millions d’accidents par an à travers le monde et contribuent à la dégradation de la qualité de l’air, les CFC (chlorofluorocarbures), utilisés dans l’industrie du froid et interdits depuis 1987 par le protocole de Montréal, ont engendré des trous dans la couche d’ozone, le glyphosate et les autres pesticides contribuent à réduire les populations d’insectes et d’oiseaux partout où ils sont utilisés, etc. Mais parallèlement à ce premier mécanisme, les mêmes sciences et techniques contribuent à transformer ces dangers (et d’autres) en risques, et donc à la construction sociale de ces derniers. Ainsi, par exemple, les équipements médicaux de plus en plus sophistiqués et précis détectent des maladies et des lésions autrefois cachées, les détecteurs de radioactivité dévoilent la présence du gaz radon dans l’environnement naturel, tandis que les ordinateurs et les outils statistiques permettent de compiler les données des accidents touchant tous les domaines de la vie sociale et de calculer la probabilité de survenue des événements et le montant des dommages causés. Comme le fait remarquer Ulrich Beck[1], les sciences et les techniques sont tout à la fois productrices de risques, instruments de mesure de ceux-ci et pourvoyeuses de solutions (souvent imparfaites). Elles possèdent donc un rôle majeur dans la production, la construction sociale et la gestion des risques.
[1] Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, 2008, Paris, Flammarion« Champs », 2008.