Le sens du mot danger est ambigu et la définition qu’en donnent les dictionnaires souvent imprécise. En effet ceux-ci proposent généralement d’en faire le simple synonyme de risque[1]. Même si cette position vient de ce qu’un grand nombre de personnes utilisent indifféremment les deux termes pour exprimer la même chose, du point de vue des sciences sociales du risque il est intéressant de distinguer les deux mots, de leur attribuer des sens bien différenciés.
On peut dire qu’il y a danger pour une personne, un bien ou une entité abstraite quand il ou elle se trouve en situation de potentiellement subir un dommage quelconque. Le conducteur ou le passager d’une voiture est en danger d’être blessé ou tué lors d’un accident de la circulation, un espace naturel d’être endommagée quand survient une pollution de l’air ou de l’eau, une espèce animale ou végétale de s’éteindre suite à sa surexploitation ou au rétrécissement drastique de son aire de vie, une entreprise de disparaître si ses produits perdent de la compétitivité sur le marché, etc. etc. Si l’on adopte cette définition du mot danger, on constate que même si elle est proche de celle de risque, les deux termes ne sont pas synonymes.
En effet, un risque est une construction sociale*, et à ce titre il n’existe que si l’on a réussi à identifier – avec une précision jugée satisfaisante – à la fois la fréquence moyenne des événements négatifs qui le caractérisent et l’ampleur des dégâts possibles. Ces connaissances ne doivent pas forcément être partagées par la société toute entière, mais par au moins une fraction significative de celle-ci. Au contraire, un danger, même important, peut exister dans une société sans que personne en son sein n’en soit conscient, sans même que celui qui est menacé n’ait la possibilité de le savoir. (Il est donc également incapable de connaître l’ampleur de la menace, l’étendue des dommages potentiels sur sa personne et/ou ses biens). Ainsi, au début des années 1980, les premiers individus contaminés par le virus du SIDA l’ont-ils été sans le savoir. Ils ignoraient que certains de leurs comportements (échanges de seringues, rapports sexuels non protégés…) les avaient fait contracter une maladie mortelle. Le danger existait, le risque pas encore. Ce n’est que lorsque les chercheurs ont d’abord découvert puis de mieux en mieux compris cette nouvelle maladie que l’on a progressivement quitté le domaine du danger pour entrer dans celui du risque. C’est un phénomène identique de passage du stade du danger à celui du risque qui a eu lieu en ce même début des années 1980 à propos du radon. Ce gaz inerte et radioactif n’était certes pas inconnu des chimistes, mais on n’avait pas encore conscience qu’il pouvait s’infiltrer naturellement dans les bâtiments de certaines régions au sol granitique et contaminer leurs habitants. Suite à la découverte – par hasard – de ce phénomène[2], le danger qui existait déjà est devenu, grâce aux mesures des radiations faites in situ et aux études épidémiologiques, un risque. Les émanations naturelles de gaz radon ont alors pu être prises en compte par des organismes de santé comme l’OMS[3] et faire l’objet de campagnes de prévention et de politiques de gestion ciblées.
[1] Voici par exemple comment le dictionnaire Larousse définit le mot « danger » : « Ce qui constitue une menace, un risque pour quelqu’un, quelque chose : Ce krach constitue un danger pour l’économie mondiale ; situation où l’on se sent menacé : Courir un danger. »
[2] Voir Michele Galen, « Nowhere to run from radon », The Nation, February 14, 1987, pp.180-182.
[3] Voir OMS, Radon et cancer, Aide-mémoire N°291 (mise à jour en octobre 2009), accessible à l’adresse suivante : http://atomicsarchives.chez.com/radon.html.