C’est une opération mentale qui consiste à estimer la probabilité d’un événement et son ampleur en fonction de la facilité avec laquelle nous nous remémorons des exemples proches. Appliquée à la question des risques, c’est donc la tendance à considérer comme d’autant plus probable et plus dommageable la survenue prochaine d’un événement négatif dont on a gardé en mémoire de nombreuses occurrences. L’heuristique de disponibilité nous fait redouter plus les risques que l’on peut relier à des événements tragiques récents et qui ont connu une médiatisation importante. Plus ces événements nous auront surpris, choqués, auront généré de souvenirs chargés d’émotion, plus ils seront présents dans notre mémoire, et de ce fait craints. Ainsi, lorsque l’on consulte le baromètre de l’IRSN (Institut de radioprotection et de Sûreté nucléaire) portant sur la perception des risques et de la sécurité par les Français en 2011[1], on constate qu’à l’automne de cette année-là, soit quelques mois après la catastrophe de Fukushima, la peur du nucléaire avait monté d’un cran : elle était passée de la cinquième à la troisième place des problèmes jugés les plus préoccupants[2]. C’est également ce biais de disponibilité qui explique pourquoi, en France, dans les quatre ou cinq années qui ont suivi la vague des attentats islamistes de 2015, beaucoup de personnes craignaient plus de mourir suite à une violence terroriste que lors d’un accident de la route ou de tout autre événement aussi tragique mais moins médiatisé (baromètre IRSN 2019)[3]. Ainsi, chez la plupart des individus, même chez ceux qui se baignent fréquemment dans la mer, les cours d’eau ou les piscines, la crainte de perdre la vie au cours d’une attaque terroriste peut être bien plus présente que celle de se noyer. Pourtant, même en cette année 2015 tragiquement marquée par les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, les décès par noyade ont été trois fois plus nombreux que ceux dus à des actes terroristes[4]. En cette occasion comme en bien d’autres, l’heuristique de disponibilité vientcontrarier la raison statistique.
Notons que, le temps passant, les événements tragiques s’effacent partiellement de nos souvenirs et le biais de disponibilité se déplace vers des événements plus récents, plus facilement accessible à notre mémoire.
[1]https://www.irsn.fr/FR/IRSN/Publications/barometre/Documents/IRSN_barometre_2012.pdf
[2] Interrogés sur leurs préoccupations, seuls 8% des Français choisissaient les risques nucléaires parmi les deux principales en 2010, ils étaient en revanche 18% en 2011, après la catastrophe de Fukushime. En 2012 le chiffre était déjà retombé à 8% (https://www.irsn.fr/FR/IRSN/Publications/barometre/Documents/IRSN_Barometre_2013.pdf).
[3] Alors qu’en 2013 seuls 8% des Français classaient le terrorisme parmi les deux problèmes les plus péoccupants, ils étaient 15% en 2014 et 45% en 2015, après les attentats de Charle Hebdo et du Bataclan. L’inquiétude est restée à un niveau important en 2016 (40%) et 2017 (38%) et n’a véritablement décru qu’à partir de 2018 (20%) (https://www.irsn.fr/FR/IRSN/Publications/barometre/Documents/IRSN_Barometre2019-essentiels.pdf).
[4] Il y a eu, entre le 1er juin et le 30 septembre 2015, 436 morts par noyade involontaire en France, (https://sports.gouv.fr/IMG/pdf/enquetenoyades2015.pdf, p.8), contre 150 victimes d’attentats terroristes sur l’ensemble de la même année.