En termes de risque, le profane est celui qui y est directement confronté mais ne possède pas de connaissance scientifique particulière à son propos. Il n’en a ni sur la façon dont surviennent les événements liés à ce risque, ni sur leur probabilité, ni même sur l’ampleur des dégâts occasionnés. La principale si ce n’est seule compétence du profane à propos d’un risque particulier est qu’il y est soumis au quotidien ou de manière fréquente. Les éventuelles connaissances savantes qu’il possède à son sujet sont généralement fragmentaires et acquises par la fréquentation des différents médias (presse, radio, télévision, sites internet, etc.) ou au cours d’une scolarité non axée sur la question. Pour les risques territoriaux (inondation, pollution atmosphérique ou des eaux, etc.), le profane c’est l’habitant ; pour ceux liés à la circulation routière, c’est le conducteur, le cycliste ou le piéton ; pour les risques alimentaires, c’est le consommateur ; etc. Chacun d’entre nous occupe donc la position de profane pour l’ensemble des risques qui ne relèvent pas de son éventuel domaine d’expertise, de sa profession, des études qu’il a suivies. Etre un expert pour un risque particulier n’empêche pas d’occuper la position de profane pour tous les autres. Ainsi, par exemple, le spécialiste de sécurité routière est-il, comme la grande majorité de la population, un profane pour les risques sanitaires, alimentaires, etc.[1]
Contrairement au profane, l’expert possède un savoir spécifique et scientifique sur un risque ou un ensemble de risques. Ce savoir a été généralement acquis dans les Universités et Grandes Ecoles, et validé par un diplôme de haut niveau. Néanmoins, qu’il travaille dans une Université, un laboratoire public ou un autre organisme de recherche, quand il est sollicité pour fournir son expertise (souvent par les pouvoirs publics), il n’est plus totalement dans la position du scientifique n’ayant de compte à rendre qu’à la communauté de ses pairs qu’il est habituellement. Placé dans une position intermédiaire entre le savoir et l’action, il quitte le rôle de celui qui étudie la réalité matérielle et/ou sociale pour endosser le rôle de celui qui, s’appuyant sur ses connaissances, éclaire la décision de ceux qui sont en charge de la gestion du risque.
Un certain nombre d’études montrent que l’expert a tendance à être sollicité pour des questions dépassant son domaine de compétences, puisque le découpage scientifique de la réalité correspond rarement à celui de la question mise sur l’agenda public. Aussi, sous la pression de ceux qui le sollicitent et attendent de lui une réponse tranchée, il est poussé à se prononcer sur des problèmes qui débordent son savoir, et de plus de manière moins nuancée qu’il ne le ferait dans un débat purement scientifique[2].
Notons qu’opposer, comme on le fait souvent, savoir expert et savoir profane, est une façon réductrice de traiter le problème des connaissances touchant un risque et sa gestion. En fait, il n’y a pas un savoir expert et un savoir profane, mais des savoirs experts et des savoirs profanes pluriels. Ce qui explique que, dans la plupart des controverses sur les risques relatifs à tel ou tel matériau ou telle ou telle technique, les camps qui s’affrontent mêlent en leur sein experts et profanes. Lors de la crise de la Covid-19, au cours du printemps 2019, on a vu, à propos de l’hydroxychloroquine, des experts être favorables à son utilisation pour traiter les patients infectés, et d’autres y être hostiles. Et chaque camp de scientifiques entrainait derrière lui une partie de l’opinion publique.
[1] Hervé Flanquart, 2016, Des hommes et des risques, Paris, Puf.
[2] Voir à ce propos Philippe Roqueplo, 1997, Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, Paris, INRA éditions.