On parle de risque quand la probabilité de survenue de l’événement et les dommages occasionnés peuvent être évalués avec une précision que l’on peut estimer suffisante, on parle d’incertitude dans le cas contraire, c’est-à-dire quand ces estimations sont impossibles ou très approximatives. Dans un jeu de pile ou face avec une pièce équilibrée, la probabilité de perdre (comme celle de gagner) et la somme pariée sont toutes deux connues, aussi on se trouve sans conteste dans une situation de risque. En revanche, quand un migrant traverse la Méditerranée sur un canot de fortune et confie sa vie à un passeur, l’enjeu est bien connu – sa vie –, mais ses chances d’arriver sain et sauf sur la rive européenne ne sont pas évaluables a priori – il n’existe pas de vraies statistiques en la matière –, on se trouve alors face à une situation d’incertitude.

Si on distingue risque et incertitude, c’est donc que pour tous les aléas, tous les dangers encourus il n’existe pas le même degré de précision en matière de mesure de la probabilité de l’événement redouté ainsi que des dommages potentiels. Néanmoins, on peut estimer que la plupart des situations concrètes ne correspondent totalement à aucun des deux cas extrêmes mais empruntent à l’une et à l’autre. Elle se situent entre ce que l’on peut qualifier de risque pur, quand la probabilité et les dommages potentiels sont parfaitement connus (comme dans le cas du jeu de pile ou face), et ce qui relève de l’incertitude totale, quand la probabilité et les dommages potentiels sont totalement inconnus. Ainsi, face à la possibilité d’un accident de circulation, d’une perte en bourse, ou d’un accident nucléaire, on peut légitimement se demander si l’on est plus en situation de risque que d’incertitude ou l’inverse. Pour les dangers de la route, par exemple, si la probabilité d’accident n’est pas aussi précise que celle de perdre dans un jeu de pile ou face ou de roulette, les assurances sont néanmoins capables, grâce à des séries statistiques portant sur des décennies et des millions de véhicules, d’estimer avec une précision certaine les deux dimensions du risque. Le nombre d’accidents étant stable d’une année sur l’autre, les dommages corporels et matériels aussi, les calculs assurantiels des divers types d’accidents, allant du simple accrochage à la collision mortelle, présentent une marge d’erreur relativement faible. On peut alors parler de risque, et situer les accidents à gauche du schéma 1, pas très loin des pertes dans les jeux de hasard. 

Schéma 1. Représentation de la différence entre risque et incertitude

En revanche, pour l’accident nucléaire, la situation est différente, puisque les séries statistiques sont (heureusement) peu fournies et qu’il est en conséquence difficile d’évaluer à la fois la probabilité d’accident majeur pour une centrale donnée et la totalité des dommages qu’il causerait dans et autour de celle-ci.  La situation se situe donc sans conteste du côté droit du graphique, celui de l’incertitude. Pour les pertes dans les investissements boursiers, le degré d’incertitude dépend du type de titre (action, obligation, warrant, etc.) ; néanmoins, dans le cas d’un placement dans un fonds spéculatif – à haut potentiel de hausse mais aussi de baisse –, on se situe plutôt du côté droit. 

L’absence de frontière bien nette entre risque et incertitude et le fait qu’ils constituent deux pôles par rapport auxquels on situe chaque situation réelle impliquent que le plus souvent, par facilité de langage, on choisit de n’utiliser qu’un de deux termes, celui de risque. Et ce même dans le cas où probabilité et dommages potentiels sont mal connus, comme dans l’industrie nucléaire. Cet usage du terme risque n’est pas forcément illégitime, puisque si, pour les accidents graves dans les centrales nucléaires, on de montre incapable de calculer ni la probabilité ni le véritable enjeu, on sait néanmoins quels aménagements et précautions sont à même de les réduire tous deux. L’usure et la dégradation au fil du temps de certains éléments de celle-ci augmentent la probabilité d’accident, sa rénovation – comme ce que fait depuis 2014 EDF avec ses centrales dans le cadre du programme Grand carénage –  la fait diminuer. Ainsi, bien que le risque engendré par une centrale nucléaire ne soit pas quantifiable, il est possible de classer les différents états successifs d’une centrale en fonction de leur degré de sureté. Cette évaluation ordinale nous fait partiellement quitter le strict champ de l’incertitude pour aller du côté du risque.