L’expression, issue des travaux Francis Chateauraynaud et Didier Torny[1], désigne l’individu ou groupe d’individus qui va alerter la société civile et les pouvoirs publics de dangers non encore pris en compte. Le lanceur d’alerte dénonce ce qui fait courir des risques aux individus (contamination du consommateur par des substances dangereuses, utilisation de techniques de production dangereuses pour les salariés…), à l’environnement (pollution des sols, rejet de substances toxiques dans la mer et les cours d’eau…) mais aussi aux finances des Etats et aux systèmes sociaux de protection des individus (fraude fiscale, fraude aux cotisations sociales…). Les risques dénoncés peuvent être également de nature dystopique*, c’est-à-dire porter atteinte aux libertés individuelles. C’est le cas pour le recueil et le stockage systématique d’informations sur les personnes par des organismes publics ou des entreprises privées, ça l’est encore pour la mise en place d’un système de surveillance généralisé. Le traçage par les smartphones utilisés par certains pays lors de la crise du covid-19 en est un bon exemple.
Le lanceur d’alerte court généralement des risques personnels importants du fait de son action : licenciement et pressions diverses qui l’empêche de mener une vie professionnelle et privée normale, ou même nécessité de trouver refuge à l’étranger en cas de poursuites judiciaires de la part d’un Etat (affaire Snowden). Quand les lanceurs d’alerte s’attaquent à des entreprises privées, ils font souvent l’objet de ce que l’on appelle des « poursuites-bâillons ». Celles-ci prennent la forme de procédures ou de menaces de procédures judiciaires, dont l’objectif principal est plus de rendre couteux – financièrement, psychologiquement et socialement – l’alerte que de faire condamner à coup sûr celle ou celui qui la lance. L’autocensure est leur objectif final.
Un certain nombre de pays ont développé une législation visant à protéger les lanceurs d’alerte. En France, la loi du 9 décembre 2016 « relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique », appelée communément « Loi Sapin 2 », crée une Agence française anticorruption et précise le statut de lanceur d’alerte : personne physique, qui agit de bonne foi et de manière désintéressée. Elle définit également le parcours qu’il doit suivre : d’abord signaler les faits délictueux dont il a connaissance dans le cadre de son travail à son employeur (par voie hiérarchique), puis à une autorité administrative ou judiciaire et, en dernier ressort, s’il y a absence de traitement dans les trois mois, au grand public. Le lanceur d’alerte est bien-sûr astreint à fournir des preuves de ce qu’il avance.
L’expression française de lanceur d’alerte est plus ou moins synonyme du terme anglosaxon whistleblower. Celui-ci fait référence aux policiers qui soufflaient dans leur sifflet pour appeler des renforts et alerter les citoyens de la présence d’un danger.
[1] Francis Chateauraynaud et Didier Torny, 1999, Les Sombres précurseurs. Une Sociologie pragmatique de l’alerte et du risque, Paris, Editions de l’EHESS.