Quand ils se projettent dans le futur, les individus ont tendance à se montrer optimistes, puisque leur anticipation d’événements positifs est souvent supérieure à ce qui est objectivement probable. A l’inverse, leur anticipation d’événements négatifs est moindre que ce à quoi ils devraient en réalité s’attendre. Cet « optimisme irréaliste » (unrealistic optimism)[1] prend presque toujours la forme de ce que l’on peut appeler un « optimisme comparatif » (OC), puisque l’individu a tendance à s’estimer moins soumis à un risque donné que les autres membres de son groupe ou de sa société. Ainsi, les personnes qui ont une addiction au tabac ou à l’alcool imaginent-elles souvent échapper aux pires pathologies engendrées par la consommation de ces produits ; de même, les conducteurs sont une majorité à estimer avoir une probabilité moindre que les autres d’être victimes d’un accident grave.

Pour mettre en évidence et tenter de mesurer l’ampleur de ce qui peut être caractérisé comme un biais de perception, les psychologues interrogent des échantillons d’individus sur la probabilité de connaître eux-mêmes certains événements (divorcer, avoir un accident, obtenir un emploi bien rémunéré, gagner à la loterie…), ainsi que sur la probabilité que cela arrive à une autre personne. Ces expériences menées en laboratoire permettent de constater que la plupart des individus possèdent bien une propension à considérer que les événements positifs sont plus probables pour eux que pour autrui et, inversement, que les événements négatifs sont moins probables pour eux que pour autrui.

Pour trouver les sources de cet optimisme comparatif, les psychologues I. Milhabet, O. Desrichard et J.-F. Verlhiac (2002)[2] explorent deux directions : les motivations et les  explications cognitives.
Côté motivations, ils voient deux explications possibles à l’OC. La première, liée « à la défense du Soi », expliquerait l’existence de ce biais de perception par la recherche d’une bonne estime personnelle. Comment avoir une image de soi positive si l’on pense que, face au risque, on se débrouille généralement moins bien que la moyenne ? La seconde explication, qu’ils estiment plus fragile, voit dans l’OC la réponse à l’anxiété ressentie face à un avenir par nature incertain. Penser que l’on va s’en sortir en moyenne mieux que les autres serait une façon de se rassurer, de diminuer le niveau d’anxiété.    

Les explications cognitives de l’optimisme comparatif explorent quant à elles les erreurs faites par l’esprit humain quand il se projette dans le futur. Erreurs qui nous conduisent à surestimer la probabilité d’événement positifs pour nous et d’accidents et désagréments pour les autres. Ainsi, en matière de conduite automobile par exemple, comme nous avons une meilleure connaissance de ce nous faisons que de ce que font les autres et qu’en plus nous avons constaté, pour la plupart d’entre nous, que nos erreurs n’ont pas entraîné d’accident grave, nous aurions tendance à penser que les erreurs des autres, qui ont souvent mené à des sinistres (les médias nous en informent !), sont plus graves et plus accidentogènes que les nôtres.
Toujours dans le registre des explications cognitives de l’OC, le biais de positivité – inclination à juger d’autant plus favorablement un « objet » social qu’il ressemble à un être humain individué – nous pousse à estimer que le risque encouru sera d’autant plus grand que la personne qui le subit s’éloigne de nous : un inconnu ou un groupe d’individus génériques nous apparaît plus soumis au risque qu’un de nos proches parfaitement identifié (qui néanmoins court un risque un peu supérieur à nous-même).  Notre égocentrisme – les difficultés à nous mettre dans la peau d’autrui, à adopter sa perspective – ferait qu’il nous est difficile d’imaginer que d’autres pourraient faire les mêmes efforts que nous pour réduire les risques. Moins vertueux que nous, ils sont obligatoirement plus soumis au risque.

Milhabet, Desrichard et Verlhiac (2002) concluent leur exposé sur les sources motivationnelles et cognitives de l’Optimisme comparatif en expliquant qu’elles ne sont pas exclusives les unes des autres, qu’elles peuvent parfaitement se conjuguer. Ces auteurs notent également que de nombreuses études ont montré que l’OC est d’autant plus grand que situation paraît contrôlable. Si l’on utilise la différenciation proposée par Niklas Luhman entre risque (Risiko) – menace que l’on maîtrise au moins partiellement – et péril (Gefahr) – menace que l’on subit totalement –, on constate que le premier a tendance à engendrer un biais d’optimisme plus important que le second. Le raisonnement est le suivant : si j’incline à penser que le Risiko qu’est l’accident de la route est plutôt pour les autres – qui conduisent généralement moins bien que moi ! –, je me sens en revanche autant menacé que les autres par le Gefahr qu’est le crash d’avion, puisqu’en tant que simple passager je ne peux agir. 

Voir articles « contrôlabilité » et « mistigri ». 

[1] Neil D.Weinstein, 1980, « Unrealistic optimism about future life events », Journal of Personality and Social Psychology, vol.39, n°5, p.806-820.
[2] Milhabet I., Desrichard O. et Verlhiac, J-F., 2002, « Comparaison sociale et perception des risques : l’optimisme comparatif », in Beauvois, J-L, Joule, R-V. et Monteil, J-M. (éd.), Perspectives cognitives et conduites sociales, tome 8,Rennes, Presses universitaires de Rennes, p.215-245.