Dans les sociétés contemporaines, l’individu est soumis à une multitude de risques, certains au quotidien, d’autres de manière plus épisodique. Ces risques peuvent être de natures très différentes : économiques comme la perte d’emploi, civils comme l’agression ou le vol dans l’espace public, technologiques comme ceux liés à la présence d’une industrie dangereuse dans l’environnement immédiat, naturels comme l’inondation provoquée par le débordement d’un cours d’eau, ou encore sociaux comme l’isolement et l’exclusion. L’individu ne peut généralement pas, dans le même temps et avec ses seuls moyens, lutter contre chacun d’eux : il est contraint de faire des choix, des arbitrages. Surtout que, le plus souvent, repousser ou diminuer certains risques amène à en subir d’autres de manière plus aigüe. Ainsi, par exemple, l’individu qui veut se préserver du risque de chômage et d’exclusion économique peut être amené à accepter un travail délaissé par les autres salariés parce que présentant des risques professionnel – physiques et/ou psychiques – importants. C’est particulièrement le cas pour les personnes qui ne bénéficient pas d’une formation professionnelle poussée, ou qui en possèdent une mais pas dans les secteurs dynamiques.

La situation d’arbitrage en matière de risques peut être décrite comme la tentative par l’individu ou le ménage d’optimiser le contenu d’un panier. Ce panier empli de risques ressemble à celui de biens et services du consommateur décrit par la théorie économique néoclassique, à la différence près que l’objectif est inverse : il ne s’agit pas ici de le remplir le plus possible et de manière optimale, mais de le vider le mieux possible. Alors que le consommateur doit, sous contrainte de son revenu, se composer le meilleur panier en y mettant les biens et services lui procurant le plus de satisfaction, en matière de risques l’objectif est de retirer prioritairement de son panier ceux que l’on craint le plus. Par exemple, pour un ménage à revenu modeste, résider près d’une usine Seveso*, dans un appartement où le loyer est de ce fait bas, est quelquefois la meilleure façon de minimiser le risque de ne pouvoir le payer et d’être expulsé. L’arbitrage s’est fait en privilégiant la baisse du risque économique et en acceptant en échange de voir augmenter celui d’être victime d’un accident industriel. Bien sûr, l’idéal serait de pouvoir diminuer les deux menaces en même temps, mais pour les ménages modestes résidant dans une agglomération industrielle ce n’est que rarement possible.

Dans le cas du consommateur, son désir d’acheter tout ce qui lui fait envie et de maximiser ainsi sa satisfaction est limité par son revenu. Sa contrainte est essentiellement monétaire. En revanche, si on considère le même individu ou ménage en tant que gestionnaire des risques subis, sa contrainte n’est pas seulement monétaire, elle est aussi culturelle et sociale. Qui dispose d’un bon revenu se logera dans un quartier à l’abri des principaux risques résidentiels, qui possède un diplôme valorisant évitera de travailler dans un secteur dangereux et économiquement instable et qui, de par son histoire personnelle, est bien inséré socialement évitera plus facilement de se retrouver isolé. La dotation en capitaux économique, culturel et social de l’individu aura donc une grande influence sur le contenu et surtout le poids de son panier de risques. Il sera relativement léger pour les individus qui sont bien pourvus des trois capitaux, au contraire lourd et chargé pour les individus qui en possèdent peu. Néanmoins, quelle que soit leur dotation dans ces différents domaines, qu’elle soit importante ou faible, les individus auront tendance à adopter des stratégies résidentielle, d’emploi et de comportement social qui leur permettent de retirer en priorité de leur panier les risques auxquels ils sont les plus averses. Quitte à en accueillir de nouveaux.