Les risques « fantômes » partagent avec les risques potentiels la particularité d’avoir une existence non encore scientifiquement prouvée, mais dans leur cas il est très peu probable pour ne pas dire impossible qu’elle le soit un jour. On peut regrouper sous cette étiquette tous les dangers que craignent celles et ceux qui, au sein de groupes sociaux plus ou moins importants, partagent des croyances spécifiques. Ces croyances et les risques qui s’y attachent sont d’ordres religieux, ésotérique ou autre. On peut craindre un châtiment divin parce qu’on a mal agi, de tomber malade suite à un sort lancé par un ennemi ou d’être la victime d’un complot fomenté par une société secrète ; ce sont là autant d’exemples de risques fantômes. Et ce n’est pas parce qu’ils apparaissent aux chercheurs comme le seul fruit de l’imagination de ceux qui les redoutent qu’ils doivent être négligés, écarté de la sphère d’étude. Même si ces risques sont basés sur de simples croyances irrationnelles et ne possèdent aucune réalité avérée, le simple fait qu’ils aient une réalité pour certains individus peut avoir des effets sociaux importants. Comme le dit le théorème de Thomas : « Si les hommes définissent des situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs conséquences »[1]. Craindre la damnation éternelle et tenter de l’éviter peut non seulement conduire à respecter les commandements divins, mais aussi, dans certains cas de croyance extrême, à vous transformer en terroriste et martyr. De même, le fait que certains soient persuadés que l’administration du vaccin contre la Covid-19 est l’occasion pour le fondateur de Microsoft d’implanter une puce de géolocalisation ou de réduire la population mondiale peut constituer un frein dans la lutte contre la pandémie.

Les rumeurs, les légendes urbaines, les fake news qui se répandent en l’absence de toute preuve et le plus souvent par le truchement de « médias » non traditionnels (sites internet, réseaux sociaux, bouche à oreille…), constituent des vecteurs importants de diffusion de la croyance en des risques fantômes. Des jeunes femmes qui disparaissent dans les boutiques de commerçants juifs d’Orléans et destinées à la prostitution (1969) au coronavirus SARS-CoV-2 qui aurait été volontairement « relâché » par un laboratoire de l’Institut Pasteur implanté dans la ville chinoise de Wuhan (printemps 2020), les exemples de rumeurs inquiétantes sont légion. On peut entre-autres citer les mygales cachées dans les pots de Yucca (années 1980), les étincelles des téléphones portables qui déclenchent des explosions dans les stations-services (rumeur récurrente) ou l’inondation volontaire d’Abbeville et de la basse vallée de la Somme pour préserver Paris de la montée des eaux (mars-avril 2001). Il semble que ces rumeurs naissent de manière privilégiée dans des contextes d’incertitude économique et sociale importante, et dans des villes et des territoires en mutation. La généralisation de l’usage d’internet et des réseaux sociaux – par lesquels l’information fausse mais spectaculaire a tendance à se répandre plus facilement et plus vite que celle basée sur la raison et des enquêtes sérieuses[2] – a par ailleurs considérablement augmenté la vitesse et l’aire de diffusion des rumeurs, des risques fantômes et des thèses complotistes*. 

On peut également souligner que des individus ou groupes sociaux qui croient en ces rumeurs et légendes urbaines inquiétantes peuvent être amenés à se détourner de risques réels pour affronter en priorité des risques fantômes. Leur vulnérabilité globale ne peut que s’en trouver accrue.

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Blaise Pascal, Alain Souchon et le pari de l’existence de Dieu
Le pari de Pascal traduit en problème de gestion des risques la question de l’existence de Dieu, du respect des grands principes de la vie chrétienne et de la menace de l’enfer. Qui fait le pari de l’existence de Dieu et se conforme à ses commandements sacrifie un certain nombre de plaisirs terrestres mais évite le dommage incommensurable qu’est la damnation éternelle. De plus, il obtient une récompense en cas de pari gagné : l’entrée au paradis. Qui au contraire parie sur l’inexistence de Dieu se trouve délié de la contrainte de sacrifier l’essentiel des plaisirs de la vie pour se comporter en bon chrétien, mais court le risque d’être damné pour l’éternité s’il se trompe.
On se trouve ici en quelque sorte face à un système assurantiel : verser en guise de prime une conduite exemplaire pour en échange être prémuni de l’enfer. Néanmoins, l’intérêt de l’assurance proposée dépend de notre degré de croyance en Dieu. S’il est élevé, on peut être séduit par l’argumentaire de Pascal : la prime payée est faible, la garantie très importante. En effet que valent les quelques plaisirs sacrifiés si vous avez en compensation la certitude d’échapper à un enfer à l’existence quasi certaine ? En revanche, pour celui dont la croyance en Dieu est faible (l’agnostique), voire inexistante, le problème se pose bien différemment : pourquoi sacrifier ce qu’il y a de meilleur dans la vie s’il est quasi certain qu’il n’existe ni enfer, ni paradis ? Mieux vaut alors ne pas s’assurer et profiter de la vie et de ses plaisirs : le bénéfice est grand, le risque est faible. C’est ce que nous dit la chanson Alain Souchon « Et si en plus y’a personne . »

Alain Souchon, « Et si en plus y’a personne »

Abderhamane, Martin, David
Et si le ciel était vide
Tant de processions, tant de têtes inclinées
Tant de capuchons tant de peur souhaitées
Tant de démagogues de Temples de Synagogues
Tant de mains pressées, de prières empressées
Tant d'angélus
Ding
Qui résonne
Et si en plus
Ding
Y'a personne
Abderhamane, Martin, David
Et si le ciel était vide
Il y a tant de torpeurs
De musiques antalgiques
Tant d'anti-douleurs dans ces jolis cantiques
Il y a tant de questions et tant de mystères
Tant de compassions et tant de révolvers
Tant d'angélus
Ding
Qui résonne
Et si en plus
Ding
Y'a personne
Arour hachem, Inch Allah
Are Krishhna, Alléluia
Abderhamane, Martin, David
Et si le ciel était vide
Si toutes les balles traçantes
Toutes les armes de poing
Toutes les femmes ignorantes
Ces enfants orphelins
Si ces vies qui chavirent
Ces yeux mouillés
Ce n'était que le vieux plaisir
De zigouiller
Et l'angélus
Ding
Qui résonne
Et si en plus
Ding
Y'a personne
Et l'angélus
Ding
Qui résonne
Et si en plus
Ding
Y'a personne

Paroliers : Alain Souchon / Laurent Voulzy
© Les Editions Alain Souchon

[1] Voir Robert K. Merton, 1995, « The Thomas Theorem and the Matthew Effect », Social Forces 74, no. 2, p.379-422, consulté le 9 octobre 2020, doi:10.2307/2580486.
[2] Pour cet avantage concurrentiel des fake news traitant de sujets « attractifs » sur le marché cognitif, voir Gerald Bronner, 2021, Apocalypse cognitive, Paris Presse universitaires de France.