Le risque est par nature invisible. Source de dommages potentiels mais non encore advenus, l’événement attaché à un risque n’est pas, au moment où il est pris en compte, une réalité mais une simple potentialité. De plus, même si des événements exprimant ce risque ont déjà eu lieu par le passé et permis aux spécialistes d’établir à la fois la probabilité d’une nouvelle survenue et l’ampleur des dommages qu’il pourrait occasionner, ces deux dimensions sont la plupart du temps mal connues et mal évaluées par les individus qui y sont confrontés (voir l’entrée « biais de perception »).
Le plus souvent, ce que nous savons d’un risque repose moins sur notre expérience personnelle que sur les récits faits par d’autres, médias ou entourage. Que ce soit les accidents de la circulation, les épidémies ou, encore plus, les accidents industriels, les tsunamis ou les catastrophes aériennes, ces événements se sont généralement déroulés loin de notre lieu de vie et ont frappé des inconnus. Ce sont donc les sites d’information, la télévision, la presse, et parfois des témoins directs, qui nous en ont informé, et de ce fait rendu le risque perceptible[1]. Mais en l’absence de nouvelles informations, même si nous sommes soumis de manière permanente ou récurrente à ce risque, notre perception a tendance à s’affaiblir. Par exemple, résider à proximité d’un site industriel classé Seveso comporte des risques importants, pourtant celui qui vit cette situation n’en a pas obligatoirement une conscience quotidienne. En effet, si les incidents de production et accidents du travail sont relativement fréquents sur les sites industriels (589 morts par accident de travail en France en 2014, tous secteurs confondus[2]), les catastrophes qui impactent les riverains sont exceptionnelles et de ce fait peu présentes dans les esprits.
Dans La société du risque (2003), Ulrich Beck aborde l’invisibilité du risque sous un angle un peu différent. Pour lui, l’une des principales particularités des risques dans les sociétés développées serait leur tendance croissante à l’invisibilité. La radioactivité, le rayonnement infrarouge, le parabène, les divers perturbateurs endocriniens et autres substances à la fois nocives et invisibles sont en effet de plus en plus présents dans notre environnement. Ces phénomènes physiques mis en évidence de manière relativement récente et ces matières nouvelles constituent, selon le sociologue allemand, de véritables chevaux de Troie pour notre environnement immédiat et notre organisme. Leur dangerosité n’étant pas directement détectable par nos sens, nous les laissons entrer sans méfiance dans notre quotidien et contaminer notre corps. Ce n’est que bien plus tard que nous nous apercevons des dommages qu’ils ont pu y occasionner. La thèse de Beck est intéressante mais en partie contestable, puisque les substances et facteurs de danger non directement détectables par nos sens ont toujours existé. Des chevaux de Troie s’immisçaient déjà dans notre habitat et notre corps bien avant le développement de l’industrie et la mise au point de nouvelles substances et techniques. Le radon, la lystéria, les microbes et virus divers, tous indécelables sans équipement spécifique, ont toujours été présents dans notre quotidien. On peut même dire que ces dangers étaient encore plus cachés dans le passé qu’ils ne le sont aujourd’hui, puisqu’ils l’étaient non seulement des profanes mais aussi des experts. En effet , moins bien équipés qu’aujourd’hui. Alors qu’à présent les experts bénéficient, grâce aux progrès des sciences, d’une panoplie de plus en plus complète de techniques et appareils sophistiqués (compteur Geiger, microscope électronique…) pour détecter les dangers qui ne peuvent l’être directement par nos sens, c’était beaucoup moins le cas dans les siècles passés.
[1] Voir Herve Flanquart, 2017, « Rendre visible ce qui ne l’est pas : nature du risque et prévention », Riséo, Risques, Etudes et Observation, 2017-2, pp. 7-20, https://fr.calameo.com/read/005049066fa9bf1a01289
[2] Eurostat, « Number of non-fatal and fatal accidents at work, 2014 », http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/File:Number_of_non-fatal_and_fatal_accidents_at_work,_2014_(persons)_YB16-II-fr.png, 2017, consulté le 19 août 2017.